UNE ÉNERGIE DÉPOLLUANTE

Cette saison est composée de neuf titres. Ils ont en commun un même geste dans l’idée que le théâtre peut contribuer à changer le monde, en suscitant la réflexion tout en étant un ciment de la cohésion sociale.

Le théâtre offre aussi la possibilité de nous rassembler. C’est indispensable à l’équilibre de notre nature du point de vue animal, car nous avons besoin d’être « en troupeaux » comme le sont beaucoup d’animaux. Cela nous a été confirmé pendant le confinement, lorsque nous allions tous les soirs applaudir les services de santé à nos fenêtres, car c’était aussi pour être rassemblés ! L’animal humain est donc en nous et se croit plus intelligent que les autres animaux; mais au-delà de cette apparence, il est de loin le plus dangereux sur notre planète. Une autre espèce animale a-t-elle inventé la bombe atomique ? Est-elle responsable du dérèglement climatique ?

Nous sommes plus que jamais à l’heure de la réflexion. Et le théâtre a son rôle à jouer dans une telle urgence.

Lorsqu’une pièce captive le public, un courant passe entre la scène et la salle, et il gagne en intensité quand un spectacle devient passionnant. Ce courant, qui résulte du rassemblement animal d’un public et d’artistes, est une énergie intérieure faite notamment de remises en questions. Et cette synergie interactive entre la scène et la salle est l’une des principales composantes de la magie du théâtre.

Il existe plusieurs énergies indispensables pour faire fonctionner le monde. Le théâtre en est une qui ne sert pas à faire tourner les machines, mais à alimenter cette chose primordiale qui est notre cerveau. À l’heure où l’humanité recherche tant d’énergies non-polluantes pour pouvoir guérir les effets de la pollution, pense-t-on également à en guérir les causes ? Et celles-ci ne se trouvent-t-elles pas dans nos pensées les plus profondes ? Nos âmes ne sont-elles pas polluées elles aussi ? N’avons nous pas sérieusement besoin d’intenses réflexions ? Par conséquent, le théâtre est-il une énergie dépolluante ?

Les spectacles à l’affiche développent ces questions de façon optimiste. Voici un résumé de la saison 22-23 :

FRANKENSTEIN d’après le roman de Mary Shelley, une version originale de ce mythe vieux de 200 ans, réunissant acteur, poly-instrumentiste, light-show et musique électro. Elle révèle notre actualité de façon troublante tant elle est percutante. Cette fable du savant Victor Frankenstein, victime du monstre qu’il a créé avec des morceaux de chairs mortes, est une parfaite allégorie du créateur esclave de sa création, comme nous le sommes de la technologie, responsable de notre destin climatique.

CACAO d’Alexis Bertin, l’histoire d’un exil racontée avec beaucoup d’humour par deux acteurs-marionnettistes. Ils expriment la condition de deux migrants africains réfugiés en Suisse, venus pour
sauver leurs vies d’un régime politique meurtrier. La pièce raconte leur périple de façon comique, les regards déplacés et les préjugés qu’ils rencontrent, leur fuite de Côte d’Ivoire au Bénin, puis jusqu’à notre pays, et leur découverte de Genève avec étonnement… !

JE SUIS PLUSIEURS de Marjolaine Minot et Günther Baldauf, une exploration de notre monde intérieur qui révèle que nous ne sommes pas seuls à l’intérieur de nous-mêmes, mais plusieurs. Un éclairage des différentes parts de notre personnalité, que l’on aime ou que l’on rejette, qui nous guident, nous conseillent, nous tiraillent, et souvent se contredisent. Un spectacle qui exprime qu’en vivant avec elles, on finit par les reconnaître et qu’on doit vivre avec toutes, pour s’apprivoiser, s’accepter tel que l’on est et gagner en estime de soi, afin d’être plus heureux.

MODESTINA, CRIMES, CHAMPAGNE ET DÉCOUPAGES, de Rebecca Bonvin et Sandy Tripet, une parodie imaginaire de théâtre de papier traitée avec un humour grinçant sur le thème de la dictature. C’est l’histoire comique et totalement loufoque d’une personne haute en couleur, Modestina, ex-première et dernière dame d’un dictateur, femme remplie d’extrêmes et de grandes conquêtes, dénuée de culpabilité, qui vit en exil retirée du monde, où tel le phœnix, elle veut renaître de ses cendres, avec manipulations, mauvaise foi, crimes, champagne et cha cha cha… !

YAACOBI ET LEIDENTAL de Hanock Levin, une comédie de théâtre musical dans un style cabaret, jouée sous masques avec un humour ravageur. Cette farce s’articule autour d’un triangle amoureux dans lequel deux amis tombent amoureux de la même femme. On y apprend que le bonheur de l’un fait le malheur de l’autre, mais surtout le besoin d’exister de ces trois personnages, quitte à écraser l’autre pour atteindre leurs buts, en opposant l’amour à l’amitié, tout en questionnant le sens de l’existence autant que sa place dans le monde.

LA MARÂTRE de Camilo Pellegrini, une version pour adultes du conte de Cendrillon qui se passe aujourd’hui. Cette comédie complètement déjantée évolue dans une ambiance qui se situe entre l’univers d’Almodovar et des Monthy Phytons, le merveilleux et le fantastique, le polar et le film d’horreur. On y retrouve le monde de la télévision, de la mode, de la publicité, l’obsession pour la jeunesse éternelle, l’éclatement de la famille, les envies de sexe, de liberté, de pouvoir, de vengeance… Bref, notre monde actuel !

COLORATURE, MRS JENKINS ET SON PIANISTE de Stephen Temperley, l’histoire hilarante d’une cantatrice ayant vraiment existé et servi de modèle à Hergé pour sa célèbre Castafiore dans « Les Aventures de Tintin ». Incapable d’émettre une seule note juste, cette chanteuse, si on peut l’appeler ainsi, était néanmoins convaincue d’avoir l’oreille absolue, sans réaliser que son succès ne provenait pas de la beauté de sa voix, mais des fous rires que provoquaient ses prestations. Alors le public s’en arrachait les places ! Couverte de ridicule, cette cantatrice a cependant donné une belle leçon d’amour universel…

MIGRAAAANTS de Matei Visniec, une pièce émouvante qui prend aux tripes, dont le titre avec quatre A est un cri d’alarme pour ces millions de migrants en quête d’une vie meilleure, arrêtés aux frontières de l’Europe par des barbelés ou entassés dans des camps en attendant leurs sorts. Ce spectacle joué par de réels migrants exprime ces drames, ces larmes, cette fuite vers une illusion, ces divers profiteurs sur le dos de leur misère, la vente de leurs organes pour survivre, ou leurs naufrages en mer Méditerranée…

TOUT LE MONDE VEUT VIVRE, de Hanock Levin, une fable comique d’une absurdité jouissive. Elle nous livre un tableau de la condition humaine, à travers une intrigue imaginaire aussi féroce
que drôle, dans laquelle le comte Pozna, petit seigneur « sans grandeur » d’un royaume « sans moutarde », reçoit la visite de l’ange de la mort, venu lui annoncer son décès dans trois jours, sauf s’il trouve quelqu’un pour le remplacer. Mais tous ceux qu’il sollicite pour cela, même en échange d’une fortune, préfèrent vivre… !

Ces neuf spectacles explorent des thèmes intemporels ou brûlants d’actualité, avec des formes de représentation originales qui ne manqueront pas de vous surprendre.

En espérant servir l’art théâtral autant que sa nécessité dans le monde actuel, soyez les bienvenu·e·s à l’Alchimic pour partager avec nous ces moments de théâtre qui s’annoncent prometteurs.

Pierre-Alexandre Jauffret
Directeur